Allemagne méthanisation le mensonge perdure (CSNM)

Dans ce présent article, retrouvez la désinformation concernant la méthanisation en Allemagne, véhiculée par M. Chateigner.

Pour connaître le contexte de cet article, je vous invite à lire l’article d’introduction au travail réalisé :

Optibiom, CSNM, le torchon brûle !

Voici les propos de M. Chateigner du 28 Juin 2024, concernant la méthanisation en Allemagne :

« L’Allemagne a un peu moins de 11 000 méthaniseurs, et je vous ferai remarquer que l’Allemagne a décidé d’en sortir. Parce que l’Allemagne est un pays plus froid que la France, le stockage de carbone dans son sol depuis les temps préhistoriques est 4 fois plus importants que la France. Donc quand vous partez d’un état tel que celui-ci et que vous mettez 11 000 méthaniseurs, sur une période qui est un petit peu plus longue que celle vécue par la France, et bien vous vous apercevez que le carbone dans le sol n’a pas encore trop souffert, mais si on se place dans une perspective où l’on consomme beaucoup de carbone dans le sol à cause des unités de méthanisation, la France va s’épuiser plus vite que l’Allemagne parce que la France a moins de carbone dans les sols, et là on y coupera pas parce que l’on ne peut pas faire autrement. C’est intrinsèque à la méthode. »

« La méthodologie de la méthanisation n’est pas respectueuse des sols, ce n’est pas possible puisque l’on veut faire du tonnage, donc est ce qu’il n’est pas plus judicieux finalement d’arriver à manger que d’arriver à se chauffer ? L’Allemagne a développé, l’Allemagne s’est aperçue de tous ces problèmes-là, ils ont des pollutions aquatiques, ils ont des champs de Maïs à perte de vue et c’est bien ce qui a décidé Meckel de diminuer les subventions, et dans la loi EEG ils ont décidé à l’horizon 2030 d’arrêter de construire des méthaniseurs, parce que ce n’est pas viable. Il faut voire qu’ils ont 15 ans de plus que nous en expérience, mais les accidents sont là car cela ne sera jamais mature. Un méthaniseur qui ne fuit pas c’est vrai le premier mois mais dès 6 mois il commence à fuir. Pourquoi des champs de maïs, je vous l’ai dit le maïs est 30 fois plus méthanogène que le lisier donc ce n’est pas la peine d’augmenter des élevages de porc ou de vache en méthanisation. Donc c’est ce qui se passe. »

Ces propos sont à recouper avec les affirmations suivantes toujours du même conférencier, où il indique que la densité des unités de méthanisation qui résulterait de la mise en place du programme français est ubuesque, c’est-à-dire grotesque :

« Voilà où on en est, pourquoi cette concurrence, parce que sur ce graphe nous avons représenté la distance entre les méthaniseurs, la distance moyenne en fonction du nombre de méthaniseur, nous sommes ici aujourd’hui, avec 2036 méthaniseurs en service nous sommes ici c’est-à-dire qu’il y a un méthaniseur tous les, on va dire 10 et 15km de distance en moyenne. Et bien cela est intéressant, parce que quand on fait la moyenne cette fois-ci de la distance maximale de chalandise des intrants, où est ce que l’on va chercher les intrants pour ramener aux méthaniseurs, cette distance au maximum est en moyenne de 25 km, donc déjà aujourd’hui on va chercher la biomasse chez le voisin qui lui aussi méthanise. En quelque sorte on est déjà en compétition, donc cela ne tient pas debout.

Et de la même manière si vous regardez où l’on doit aller, la distance à laquelle on doit épandre le digestat, cette distance moyenne maximale est à 45km. Ces chiffres-là découlent de notre database c’est-à-dire les données de l’ensemble des méthaniseurs. Donc vous voyez que non seulement vous devez piquer la biomasse au voisin, mais en plus vous lui rendez du digestat, donc si lui aussi à des problèmes pour épandre son digestat, où est ce qu’on va le mettre ? Donc la réalité est déjà visible puisque tous les pays limitrophes qui ont développé la méthanisation, cherchent à écouler leurs digestats et cherchent de la biomasse. Ce n’est pas nouveau, c’est quelque chose qui est évident, et par conséquent nous allons nous dans un système, très rapidement c’est déjà le cas, et dans certaines régions c’est déjà le cas, on va saturer la surface. »

« Heu, quelle surface du coup, et bien si vous regardez un département français métropolitain moyen 6400 km2, un rapide calcul si vous voulez obtenir 50 TWh annuel par méthanisation, il vous faut en gros 3 à 6 départements français. C’est-à-dire que pour à peine un dixième de la consommation de gaz naturel, il vous fait déjà manger la surface de 3 à 6 départements. Vous faîtes le rapport, si vous voulez 500 TWh il vous faut 60 départements, je ne pense pas que cela soit vraiment viable si on veut continuer à pouvoir manger. Donc inévitablement les chiffres qui amènent SOLAGRO ou GRDF ou l’ADEME à imaginer 10 000 méthaniseurs sur le sol français, sont des chiffres ubuesques. »

Observations d’OPTIBIOM :

La désinformation bat son plein, et voici pourquoi :

  • Tout d’abord l’Allemagne n’a pas abandonné son programme de déploiement des unités de méthanisation. Elle a simplement ralenti le rythme car actuellement plus de 11 000 méthaniseurs sont déjà en service. Pour contextualiser ce chiffre, sachez qu’il y avait  10 920 stations-service encore en activité fin 2023 en France.
  • En Allemagne, les 11 269 méthaniseurs sur une superficie de 357 592 km2, engendre une superficie moyenne de   31.73 km2 par méthaniseur, soit un carré de 5.63 km de coté par méthaniseur. La distance moyenne est donc de 5.63 km entre chaque méthaniseur. Autant dire que selon les calculs de M. Chateigner cette situation est intenable (et pourtant elle perdure et se renforce), lui qui n’envisage pas la possibilité que 10 000 méthaniseurs en France puissent être installés sur une surperfice de 543 940 km2, soit sur une superficie de +52% par rapport à l’Allemagne. La réalité est sans pitié lorsque l’on dit des bétises, mais cet exemple est une bonne illustration de la capacité d’une personne à dire n’importe quoi à partir de chiffres.
  • Fin 2023 l’Allemagne était toujours un des trois pays européens les plus dynamiques dans la mise en service de nouvelles unités de méthanisation.
  • Enfin M. Chateigner par sa présentation fait croire que toutes les unités de méthanisation sont  dépendantes de tiers extérieurs pour leur approvisionnement et pour l’épandage du digestat. Cette démarche appliquée à 10 000 méthanisateurs donne des résultats aberrants. Cette structure d’approvisionnement et d’épandage correspond aux unités de méthanisation dites « centralisées » et ce type de centrales de méthanisation est minoritaire en France comme en Allemagne. Les données sont justes (25km pour les intrants, 45km pour l’épandage) mais non transposables à ce nombre d’unités de méthanisation, ce qui fausse toute l’analyse et la pertinence du commentaire. Voilà comment on peut manipuler des auditeurs.

Concernant l’Allemagne, voici le bilan de 2022 que vous pouvez trouver dans le document intitulé « Bioenergy Europe, Statistical Report 2022 » de l’association EBA, Europe Biogas Association. Les divers graphiques montrent :

  • Le nombre d’unités de méthanisation par pays, DE = Allemagne, IT = Italie, UK = Angleterre
  • La répartition de la matière qui alimente les méthaniseurs, « Agricultural Residues » fait référence aux lisiers et fumiers, « Energy Croops » identifie le volume des cultures principales ET intermédiaires. On est loin de l’image d’Epinal où l’Allemagne ne méthanise  que du maïs !
  • L’évolution des intrants qui alimentent les nouvelles unités de méthanisation productrice de biométhane. Dommage pour ceux qui disent n’importe quoi, depuis 2017 la production énergétique via des cultures énergétiques dédiées n’est pas prépondérante. « Energy croops » identifie les cultures, « Sewage Sludge » identifie les boues d’épuration, « Agricultural Residues, Manure, Plant Residues », l’ensemble des effluents d’élevage et des résidus végétaux

Le dernier graphique vous montre l’évolution du parc allemand d’unités de méthanisation qui produisent du biométhane.

 
En complément précisons que depuis 2018, la dynamique Européenne de valorisation énergétique de la biomasse (bois, cultures, effluents d’élevage, etc..) est dans une phase où l’empreinte carbone et les critères environnementaux sont des sujets majeurs pris en compte dans l’orientation de la production.
 
La Directive Européenne RED II oblige de justifier une réduction des gaz à effet de serre par rapport à l’utilisation d’énergie fossile. Par la certification on s’assure que la stratégie globale de production de l’énergie renouvelable provenant de la biomasse, engendre une diminution effective de l’empreinte carbone. Ces exigences concernent la valorisation de la biomasse forestière, la production et l’usage des biocarburants, et la production de biogaz entre autres choses.
 
La réduction exigée par la certification est importante :
 

« La production d’électricité, de chaleur et de froid à partir de combustibles ou carburants issus de la biomasse, la production de biogaz injecté dans un réseau de gaz naturel, la production du biogaz non injecté dans un réseau de gaz naturel et non destiné au secteur des transports doivent présenter un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre :

  • d’au moins 70 % lorsque cette production a lieu dans des installations mises en service du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2025;

  • d’au moins 80 % pour les installations mises en service à partir du 1er janvier 2026. »

Voici une source fiable d’information à ce sujet.

Les pays européens souhaitant accélérer la diminution de l’empreinte carbone du continent, on déjà remplacé la directive RED II par la directive RED III encore plus contraignante : voici un texte à ce sujet.
 
Nous sommes trés loin des propos de M. Chateigner qui prétend que tout le monde fait n’importe quoi, sous la pression des grandes sociétés énergétiques.
 
Enfin précisons que lorsque M. Chateigner déclare  que le maïs est 30 fois plus méthanogène que le lisier, ce qui justifie son usage d’une manière prioritaire dans les méthaniseurs, il commet une nouvelle erreur.
 
Le pouvoir méthanogène d’un ensilage de maïs est d’environ 104 Nm3CH4/TMB. 
 
Le pouvoir méthanogène d’un lisier de vache laitière sur logette paillée, est d’environ 20 Nm3CH4/TMB. 
 
Une production 30 fois moins méthanogène que 104 Nm3CH4/TMB = 3.46 Nm3CH4/TMB. Ce potentiel méthanogène est moindre que le potentiel méthanogène du digestat brut, c’est à dire moindre que la matière digérée provenant d’une ration agricole…. affirmation ridicule !
 
Ajoutons que le potentiel méthanogène n’a rien à voir avec la rentabilité. Il est plus rentable de méthaniser un lisier bovin pailleux ou un fumier mou qui est gratuit sur une ferme, plutôt que de méthaniser un ensilage de maïs qui coûte, et qui peut être valorisé autrement.
 
C’est à dire que pour toutes les cultures de vente, le rendement financier sur une unité de méthanisation n’est pas déterminé par rapport au coût de production de la culture, mais par rapport à son coût de vente pour des usages non énergétiques.
 
Ainsi le coût d’approvisionnement sur une unité de méthanisation d’un ensilage de maïs est bien supérieur à celui d’un lisier ou d’un fumier.
 
Le coût de mise à disposition à l’unité de méthanisation d’un ensilage de maïs est le coût de vente, soit entre 120 € et 130 €/TMS (TMS =  tonne de matière séche).
 
Le m3 de méthane (CH4) a alors un coût d’approvisionnement, sans prendre en compte les frais de stockage, de plus de 38 c€/m3CH4 contre une gratuité pour les effluents d’élevage. Cela représente un coût d’approvisionnement de production d’électricité de 10.6 c€/kWh injecté sur le réseau. Ce coût est trés élevé d’autant qu’il faut ajouter la charge liée à l’investissement initial, les charges d’exploitation, et les ré-investissements à réaliser sur la durée de vie de l’unité de  méthanisation, pour déterminer le coût total de production.
 
Il est donc totalement faux d’indiquer que la stratégie d’usage du maïs est la plus rentable, et que cela est une « évidence ».
 
D’ailleurs, nous démontrons régulièrement que les unités de méthanisation dont la ration comprend plus de 85% (en tonnage) d’effluents d’élevage autres que du lisier de porc, ont une meilleure rentabilité économique que les stratégies de production reposant sur une ration végétale importante. Ce fait permet de réaliser de trés petites installations dont le débit de production est inférieur à 60 Nm3 de biométhane par heure (soit l’équivalent d’un 250 kWe lorsque l’on valorise le biogaz avec un cogénérateur et non un épurateur).
 
L’usage du maïs a été possible un temps, uniquement parce que lors de l’impulsion initiale donnée à la méthanisation agricole, le coût d’achat de l’énergie produite  et les subventions étaient élevés, mais cela fait maintenant un bail que ce n’est plus le cas, en France et chez nos voisins.
 
Cette réalité économique explique l’avant dernier graphique présenté ci-dessus, qui montre une orientation forte de la production de biométhane avec un usage trés modéré des cultures.
 
Toutefois n’oublions pas que cette production énergétique (par méthanisation) est bien plus cohérente que l’usage des biocarburants dont la production prend plus de 600 000 hectares en France, et qui nécessite la culture de plantes dont l’indice de fréquence de traitement (IFT) est bien plus élevé que le maïs, le sorgho et les CIVES utilisés en méthanisation (voir à ce sujet l’article suivant Une unité de méthanisation agricole à Heric). Etrangement M. Chateigner n’indique jamais que produire du biogaz est plus pertinent que produire des biocarburants.
 
Enfin concernant le carbone dans le sol, il est étrange que certains scientifiques soient en désaccord avec les constatations des agriculteurs français après 10 ans d’usage de digestat, et les mesures de l’évolution du carbone dans le sol réalisées en Allemagne.
 
Le constat est pourtant simple, même si certains par leur « expérience de pensée » pensent qu’il y a un danger, cela n’est pas le cas comme l’indique cette étude scientifique. La conclusion est qu’il y a une augmentation du carbone dans les sols, constat qui peut être appréhendé en réalisant des bilans de masse comparatifs (notamment sur la matière sèche).

 

Remarquons que nos voisins Allemands ont fini un inventaire conséquent du carbone dans leur sol montrant leur grand interet pour ce sujet. Je ne suis pas sûr que nous ayons quelques choses à leur apprendre dans ce domaine. Il est interessant de noter que ce travail a été réalisé car les données disponibles étaient jugées peu fiables. Le pdf est accessible via ce lien.

M. Chateigner devrait revoir sa position au sujet de la méthanisation en Allemagne, et mettre à jour son discours qui date de 2016 lorsque l’usage des cultures dédiées était un sujet.

Le 13 Juillet 2024,

M. Desjardin,
Ingénieur-Philosophe
Ingénieur Développeur de Projets Durables chez OPTIBIOM